No se puede ser un hombre honesto, un hombre honesto de verdad, con toda la fuerza que este término implica, si no se es respetuoso. El hombre que respeta con los ojos cerrados, cree. Nosotros, con nuestros ojos muy abiertos sobre el mundo, que vivimos aquí, en este palacio de justicia que es la cloaca de la sociedad, donde vienen a parar todas las infamias, nosotros que somos los confidentes de todas las vergüenzas, los defensores consagrados de todas las miserias humanas, el sostén, por no decir los defensores de todos los bribones y de todos los desvergonzados, desde los príncipes hasta los vagabundos de los arrabales, nosotros que acogemos con indulgencia, con complacencia, con una benevolencia sonriente a todos los culpables para defenderlos delante de ustedes, nosotros que, si amamos verdaderamente nuestro oficio, armonizamos nuestra simpatía de abogado con la dimensión del crimen, nosotros ya no podemos tener el alma respetuosa. Vemos demasiado este río de corrupción que fluye de los más poderosos a los últimos pordioseros, sabemos muy bien como ocurre todo, como todo se da, como todo se vende. Plazas, funciones, honores, brutalmente a cambio de un poco de oro, hábilmente a cambio de títulos y de lotes de reparto en las empresas industriales, o simplemente por un beso de mujer. Nuestro deber y nuestra profesión nos fuerzan a no ignorar nada, a desconfiar de todo el mundo, ya que todo el mundo es sospechoso, y quedamos sorprendidos cuando nos encontramos enfrente de un hombre que tiene, como el asesino sentado delante de ustedes, la religión del respeto tan arraigada como para llegar a convertirse en un mártir.
On ne peut être un honnête homme, vraiment un honnête homme, dans toute la force de ce terme, que si on est un respectueux. L'homme qui respecte a les yeux fermés. Il croit. Nous autres, dont les yeux sont grands ouverts sur le monde, qui vivons ici, dans ce palais de la justice qui est l'égout de la société, où viennent échouer toutes les infamies, nous autres qui sommes les confidents de toutes les hontes, les défenseurs dévoués de toutes les gredineries humaines, les soutiens, pour ne pas dire souteneurs, de tous les drôles et de toutes les drôlesses, depuis les princes jusqu'aux rôdeurs de barrière, nous qui accueillons avec indulgence, avec complaisance, avec une bienveillance souriante tous les coupables pour les défendre devant vous, nous qui, si nous aimons vraiment notre métier, mesurons notre sympathie d'avocat à la grandeur du forfait, nous ne pouvons plus avoir l'âme respectueuse. Nous voyons trop ce fleuve de corruption qui va des chefs du Pouvoir aux derniers des gueux, nous savons trop comment tout se passe, comment tout se donne, comment tout se vend. Places, fonctions, honneurs, brutalement en échange d'un peu d'or, adroitement en échange de titres et de parts dans les entreprises industrielles, ou plus simplement contre un baiser de femme. Notre devoir et notre profession nous forcent à ne rien ignorer, à soupçonner tout le monde, car tout le monde est suspect ; et nous demeurons surpris quand nous nous trouvons en face d'un homme qui a, comme l'assassin assis devant vous, la religion du respect assez puissante pour en devenir un martyr.