Obtuvo un éxito digno de mí, es decir, sin par. El tema de mi obra no era otro que yo mismo: en eso me acomodaba a la moda de nuestros tiempos. Contaba mis sufrimientos pasados con una encantadora fatuidad; ponía al corriente al lector de mil detalles domésticos del más excitante interés; la descripción de la escudilla de mi madre no ocupaba menos de catorce cantos, pues había contado las ranuras, los agujeros, las abolladuras, las astillas, las púas, los clavos, las manchas, los matices diversos, los reflejos; mostraba el interior, el exterior, los bordes, el fondo, los laterales, los planos inclinados, los planos rectos; pasando al contenido, había estudiado las briznas de hierba, las pajas, las hojas secas, los pequeños trozos de madera, los cascotes, las gotas de agua, los despojos de moscas, las patas rotas de abejorros que allí se encontraban: era una encantadora descripción. Pero no piensen que la imprimí de un tirón; hay lectores impertinentes que se la habrían saltado. La había dividido hábilmente en fragmentos y la había entremezclado con el relato, con el fin de que no se desperdiciara nada; de tal manera que en el momento más interesante y dramático aparecían de repente quince páginas de escudilla. He aquí, en mi opinión, uno de los grandes secretos del arte y, como no soy avaricioso, permito que lo aproveche el que quiera.
J’eus un succès digne de moi, c’est-à-dire sans pareil. Le sujet de mon ouvrage n’était autre que moi-même : je me conformai en cela à la grande mode de notre temps. Je racontais mes souffrances passées avec une fatuité charmante ; je mettais le lecteur au fait de mille détails domestiques du plus piquant intérêt ; la description de l’écuelle de ma mère ne remplissait pas moins de quatorze chants : j’en avais compté les rainures, les trous, les bosses, les éclats, les échardes, les clous, les taches, les teintes diverses, les reflets ; j’en montrais le dedans, le dehors, les bords, le fond, les côtés, les plans inclinés, les plans droits ; passant au contenu, j’avais étudié les brins d’herbe, les pailles, les feuilles sèches, les petits morceaux de bois, les graviers, les gouttes d’eau, les débris de mouches, les pattes de hannetons cassées qui s’y trouvaient : c’était une description ravissante. Mais ne pensez pas que je l’eusse imprimée tout d’une venue ; il y a des lecteurs impertinents qui l’auraient sautée. Je l’avais habilement coupée par morceaux, et entremêlée au récit, afin que rien n’en fût perdu ; en sorte qu’au moment le plus intéressant et le plus dramatique arrivaient tout à coup quinze pages d’écuelle. Voilà, je crois, un des grands secrets de l’art, et, comme je n’ai point d’avarice, en profitera qui voudra.